Q : Qu’est ce qui est soumis au débat parlementaire ?
R : Un projet de loi sur les soins palliatifs et l’aide à mourir dont l’article 7 dispose : « L’aide à mourir consiste en l’administration d’une substance létale effectuée par la personne elle-même ou, lorsque celle-ci n’est pas en mesure physiquement d’y procéder, par un médecin ou infirmier ou une personne volontaire qu’elle désigne »
Le projet de loi vise à légaliser l’euthanasie et le suicide assisté. Or, le texte ne le dit pas. En démocratie, il est essentiel de nommer clairement les choses afin d’en débattre en toute vérité. Nous demandons plus de clarté. Le Conseil d’État fait la même demande. Nous ne pouvons nous satisfaire de l’expression « aide à mourir » qui introduit une confusion grave car les soins palliatifs, animés par l’éthique de la compassion et de la bienfaisance, aident à mourir sans jamais donner la mort mais en soulageant afin que la personne ne souffre pas
Q : De quoi parle-t-on quand on évoque la fin de vie ?
R : La fin de vie désigne les derniers moments de l'existence d'une personne arrivant en phase terminale d'une maladie ou d'une affection grave et incurable. Son pronostic vital est engagé.
Q : Peut-on parler d’une loi de fraternité ?
R : C’est une loi de l’indifférence. On ne peut pas parler de fraternité lorsque l’on répond par la mort.
La loi n’est une loi de fraternité que si elle met en oeuvre la relation marquée par la sollicitude, la compétence médicale et le respect de la dignité humaine des personnes les plus vulnérables. Cette loi exige une formation accrue avec la mise en oeuvre de filières universitaires d’enseignement de la science palliative, ce que le plan décennal prévoit heureusement. Nous soutenons tout effort entrepris pour la formation, car sans elle, la culture et la science palliatives, accompagnées de la prise en charge de la douleur, ne se développeront pas et laisseront la place à une mentalité euthanasique si le projet de loi aboutissait à la légalisation de « l’aide à mourir ». Sans formation sérieuse, initiale et continue, et sans budget pour la recherche en science palliative, le projet de société basé sur la fraternité serait fragilisé durablement.
Q : Peut-on parler d’une loi modérée ?
R : Non car l’offre suscite la demande, on l’observe dans les pays qui ont légalisé l’euthanasie comme aux Pays-Bas qui a vu la demande augmenter par 4 en 20 ans.
C’est une loi de rupture car ce projet introduit un déséquilibre. Sans avoir de données sur les besoins réels, il nous fait basculer vers un modèle qui rompt une digue essentielle, un principe structurant de notre société, voire de notre civilisation, celui de l’interdit de tuer qui se trouve entre autres au coeur du serment d’Hippocrate. Le principe « tu ne provoqueras pas la mort » est « aussi ancien que fondamental » (Conseil d’État). Il est civilisateur et trouve dans la loi civile ses multiples applications afin que nous puissions vivre ensemble selon de saines et authentiques relations humaines. Il oblige à l’éthique du respect inconditionnel et à l’éthique de la sollicitude pour les personnes en vulnérabilité.
Q : Le vrai progrès est-ce l’aide active à mourir ?
R : Il est contradictoire de proposer le suicide assisté et en même temps de prévenir le suicide.
Le progrès serait de réformer notre système de santé qui souffre et qui est mis à mal.
Le progrès serait de mener une vraie réflexion sur le vieillissement et la dépendance dans notre pays. A terme, il y aura un problème de financement.
L’aide active à mourir fragiliserait la liberté de conscience du médecin.
Q : Qu’est-ce qui différencie ce projet de loi de la loi Clays-Leonetti ?
R : si la loi de 2005, dite loi Leonetti, est la première loi spécifique à la fin de vie en introduisant l’interdiction de l’obstination déraisonnable, il faut attendre la loi du 2 février 2016, dite Claeys-Leonetti, pour voir de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie. Notamment la loi ouvre la possibilité pour le patient de demander l’accès à une sédation profonde et continue jusqu’au décès. L’accès à ce droit est encadré par des conditions très strictes : le patient doit souffrir de façon insupportable et son décès doit être reconnu comme inévitable et imminent.
Ainsi la loi Clays-Leonetti est une loi visant à soulager la souffrance en fin de vie. A la différence du projet de loi qui vise à donner la mort.
Q : Pourquoi vouloir une nouvelle loi sur la fin de vie alors que la mise en oeuvre de l’actuelle loi Claeys Leonetti est insuffisante ?
R : Tout le monde s’accorde pour dire que son effectivité fait défaut. Aussi en adoptant de nouvelles dispositions notamment en faveur du suicide assisté et de l’euthanasie, il est à craindre un coup d’arrêt au progrès des soins palliatifs auquel nous assistons en France depuis au moins 40 ans. En offrant la possibilité légale de l’acte létal, on contredit l’humanisme mise en oeuvre par ces soins, comme si la mort donnée était une juste alternative et que donner la mort était une valeur humaniste. Alors que le
CCNE a pourtant recommandé la généralisation des soins palliatifs avant tout changement législatif, il est proposé l’inverse : la légalisation du suicide assisté et de l’euthanasie avant le développement des soins palliatifs. L’Avis du CCNE repose sur un principe éthique : évaluer les demandes de mort uniquement quand tout citoyen qui en a besoin pourra bénéficier de soins palliatifs. La légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté avant de pouvoir évaluer en raison la situation à l’aune des soins palliatifs repose sur une attitude qui a été qualifiée de « compassionnelle » ou « émotionnelle », ce qui ne relève pas de l’éthique. Alors que les EHPAD attendent tous, de façon urgente de pouvoir bénéficier d’une compétence en soins palliatifs (1/3 n’en bénéficient pas et il est prévu que tous en soient dotés en 2030), le projet de loi leur garantit d’abord l’effectivité immédiate de « l’aide à mourir » puisque la clause de conscience est dotée d’une obligation de recourir à un médecin qui prescrira et fera le geste létal. Plus loin, nous abordons la problématique de la clause de conscience.
Q : Peut-on soulager les souffrances ?
R : Grâce au progrès de la médecine, le développement des soins palliatifs, il est possible de les soulager. C’est l’une des priorités absolues des soins palliatifs de soulager (traitement de lutte contre la douleur, accompagnement de l’angoisse).
On ne peut pas répondre à la souffrance par la mort.
La question de la fin de vie devient le révélateur d’une société qui n’arrive plus à se situer devant la souffrance.
La confrontation à la mort est nécessaire et est, dans tous les cas, une souffrance pour le patient.
Q : quid des douleurs insurmontables ?
R : Les douleurs réfractaires aux traitements disponibles ne concernent plus que quelques maladies rares (maladie de Charcot, lock-in syndrom). Dans ces cas exceptionnels, la sédation profonde permet d’éviter que le patient souffre. Les soins palliatifs ne se limitent pas aux traitements médicamenteux : l’accompagnement est global et il permet aussi de réduire les souffrances psychologiques. Mourir reste un passage compliqué et douloureux pour tous (personne concernée, proches, soignants) : c’est cela aussi la vie.
Q : Qu’est-ce que les soins palliatifs ? pourquoi les promouvoir ?
R : Par soins palliatifs, on entend l’ensemble des traitements et soins qui s’adressent à une personne atteinte d’une maladie grave et incurable, pour laquelle une guérison de la maladie n’est plus à envisager (Prise en charge du corps, de la vie relationnelle et de l’entourage des malades).
Les soins palliatifs s’adressent à tous. Selon la loi du 9 juin 1999, chaque citoyen doit y avoir accès quel que soit son lieu de vie, y compris dans les EHPADs et dans les maisons de retraite. Grâce aux soins palliatifs, aux soins prodigués, nos concitoyens peuvent vivre une fin de vie apaisée.
Les soins palliatifs comprennent :
- le soulagement de la souffrance morale, psychique et spirituelle
- le soulagement de la douleur
- le confort et la qualité de vie
- le soutien et l'accompagnement des proches
- des soins pratiqués par une équipe multidisciplinaire : médecin, équipe de soins, psychologue, assistante sociale, bénévole, etc.
Ces soins ne sont pas assez développés et les possibilités de soulagement de la souffrance sous toutes ces formes ne sont pas assez connues. Il est urgent de combattre cette ignorance.
Q : Pourquoi demander à distinguer le développement des soins palliatifs et le principe de l’aide active à mourir ?
R : Incompatibilité entre l’accompagnement des patients jusqu’au bout et le geste létal. Mélanger les deux, c’est dénaturer le soin.
Avoir qu’un seul projet de loi met les parlementaires devant la difficulté de soutenir les soins palliatifs tout en acceptant l’aide à mourir, ou bien de s’y opposer et de ce fait refuser les dispositions relatives aux soins palliatifs.
L’approche via deux lois existe déjà. On peut citer l’exemple du Luxembourg :
- La loi relative aux soins palliatifs, du 16 mars 2009 règle les soins palliatifs, la directive anticipée et l’accompagnement en fin de vie.
- La loi sur l’euthanasie et l’assistance au suicide du 16 mars 2009, règle les conditions sous lesquelles un médecin peut effectuer une euthanasie ou une assistance au suicide, sans être pénalisé, ainsi que les dispositions de fin de vie.
Q : Si ouverture de l’aide active à mourir, quelles dérives, quelles limites ?
R : Si la loi devait évoluer pour autoriser une forme d’aide active à mourir, comment prévenir les dérives que constitueraient, par exemple, la demande de mort des personnes se croyant un poids pour la société à raison de leur âge, de leur isolement ou du coût qu’entraîneraient leurs soins ? Quelle maîtrise du débat parlementaire ? Est-ce que les garde-fous mis par le gouvernement seraient maintenus ? A terme, un risque sur l’égalité. Pourquoi limiter l’aide active à mourir pour une catégorie de personnes en fonction de critères ?
Ainsi, dans une société très marquée par les intérêts économiques, la perspective de limiter le coût du très grand âge et des maladies incurables grâce au suicide assisté et à l’euthanasie ne peut pas être niée. Dans les pays où la mort peut être « administrée », la hausse continue du nombre de décès ainsi provoqués démontre la dérive : entre la date d’introduction de la loi permettant toujours au début des formes très limitées d’euthanasie ou de suicide assisté et aujourd’hui, le nombre annuel de décès ainsi générés n’a pas cessé d’augmenter : déjà 5% des décès sont ainsi provoqués au Canada, aux Pays-Bas. Comme l’annonçait François Mitterrand : « Le jour où une loi
donnera à un médecin le droit d’abréger la vie, nous entrerons dans une forme de barbarie… on fera pression sur les personnes âgées pour qu’elles aient l’élégance de demander la mort et de ne pas peser ».
Q : peut-on refuser l’aide à mourir ?
R : bien que le PJL institue une clause de conscience pour le médecin à qui un patient s’adresse pour bénéficier d’une aide à mourir, et qui ne souhaiterait pas participer à la procédure, le texte ne prévoit aucunement une telle disposition pour les autres professionnels de santé concernés, les pharmaciens ou encore les établissements de santé. Aussi, aucune mesure n’est prévue pour faire valoir cette clause de conscience de manière institutionnelle.
Q : Pourquoi l’Eglise refuse-t-elle l’euthanasie ou le suicide assisté ?
R : Le débat ne porte pas sur une vision religieuse mais sur la condition humaine, le respect de toute dignité humaine, le respect de toute vie en société. Il s’agit donc d’une objection anthropologique. Prendre soin des personnes âgées dépendantes, l’attention aux plus vulnérables sont des obligations éthiques.
Q : Que disent les évêques ?
R : « N’est-il pas plus humain de soulager la souffrance que de mettre un terme à la vie ? N’est-il pas plus fraternel d’offrir à chacun la fin de vie la mieux accompagnée plutôt que de l’interrompre par un geste létal ? Notre idéal démocratique, si fragile et si nécessaire, ne repose-t-il pas sur l’interdit fondateur de donner la mort ? (…)
Nous nous engageons et nous engageons tous les catholiques à s’impliquer davantage auprès des personnes en situation de handicap, âgées ou en fin de vie : la demande de suicide assisté ou d’euthanasie est souvent l’expression d’un sentiment de solitude et d’abandon auquel nous ne pouvons ni ne devons, nous résoudre. Plus la solidarité avec les personnes les plus fragiles progressera, plus notre pays avancera sur un chemin renouvelé de fraternité, de justice, d’espérance et de paix. »
Extrait de l’interpellation « Ne dévoyons pas la fraternité ! » du 19 mars 2024
Q : Sont-ils les seuls à s’alarmer ?
Très nombreux et de toutes convictions sont ceux qui s’alarment de cette disposition du projet de loi. En particulier les médecins et les soignants, tout spécialement les praticiens des soins palliatifs ont fait part de leur opposition à toute mesure qui viendrait remettre en cause leur raison d’être : le geste létal va à l’encontre du soin, il en est la négation.